Gymnastique, oui, mais raisonnée…
Il faut « gymnastiquer » !
C’est indiscutable : quel que soit le service auquel nous destinions notre cheval, celui-ci devra être « gymnastiqué » afin qu’il puisse y répondre dans les meilleures conditions. Du point de vue du cavalier, il s’agit de rendre ce cheval « facile et agréable à monter » ; du point de vue du cheval, on cherche une mise en condition physique qui le préserve dans la longévité. Pour ce qui est des objectifs fondamentaux, je ne peux que citer le général L’Hotte : « le cheval doit être droit sur la ligne droite, et incurvé sur la ligne courbe qu’il parcourt ».
Connaître les aptitudes de son cheval
Chaque cavalier doit être conscient des qualités naturelles de son cheval, en sorte de ne jamais avoir d’exigences, d’objectifs qui soient du domaine de « l’impossible » ! Évident, sûrement, systématique, rarement … Ce qui différencie certains Hommes de Chevaux par leur talent à amener leurs chevaux à acquérir des qualités qu’ils n’avaient pas, des cavaliers dont le tact équestre n’est pas ou peu développé. Ce qui n’est pas grave en soi pour peu qu’on en soit conscient ! Comme disait Baucher, « tout le monde ne peut pas aller à Corinthe » …
Une des premières causes d’incohérences dans le comportement des cavaliers vis à vis de leurs chevaux est de cet ordre. Il me semble qu’Etienne Beudant expose le fait qu’avant d’envisager le dressage d’un cheval, il faut bien se rendre compte de ce que l’on cherche. Ce qui implique d’être conscient des éléments de départ ! S’il est vrai qu’avec tact et patience, il est possible de faire acquérir au cheval des qualités qui lui font défaut, il est évident que dans ce cas le cavalier sache quels sont les « points forts et points faibles » de son cheval, ces points n’ayant d’incidences que pour le cavalier ; en effet, s’il est question de mettre en avant d’éventuels défauts, ils n’ont la particularité d’être des défauts que pour … le cavalier ! Le cheval s’en accommode très bien … tant qu’il n’est pas manipulé par l’homme !
C’est donc après une observation minutieuse du cheval que l’on peut envisager une gymnique adaptée, en sorte qu’elle pallie aux « faiblesses » du cheval concerné. Ce qui me fait souvent dire aux cavaliers que je vois régulièrement de ne jamais prendre pour « paroles d’évangile » ce que je leur conseille, les directives n’étant valables que pour le cas particulier que représente leur cheval. Pour faire bref, ce qui est « constructif » pour l’un peut devenir « néfaste » pour l’autre. Contradictoire pour certains, mais tellement vrai vu que l’on s’adresse à du « vivant », au sens où chaque cheval est à considérer comme un cas particulier. Seul le « boulevard » que représente son éducation, son dressage, est à prendre en compte, en étant conscient que pour chaque cheval, une multitude de « contre-allées » devront être empruntées, ce parcours étant unique, répondant aux besoins de chaque cheval. Oui, les grandes lignes sont les mêmes, mais la façon de les tracer demande des adaptations propres à chaque individu. A l’heure d’une forme de « mondialisation » de l’équitation par dérive de la compétition, c’est clair que ce discours ne peut pas parler au compétiteur « lambda » auquel je ne peux que conseiller de toujours se mettre à la place de son cheval…
Et le cavalier, dans tout ça ?
Un point particulièrement important, et si souvent occulté, ne doit pas être négligé : les aptitudes physiques du cavalier à se lier à son cheval. En clair, la condition physique du cavalier ne doit pas être oubliée, et sa mise en selle demande un soin particulier.
En effet, comment peut-on prétendre s’accorder aux mouvements naturels du cheval et les influencer si l’on a pas une tenue en selle telle qu’elle permette au cavalier de se « fondre » dans son cheval, s’accordant avec les mouvements de la mécanique de ses allures sans le gêner, sans entraver ses mouvements ? Sans cette foutue mise en selle, de l’ordre des « gros mots » à l’heure où « le cheval, c’est trop génial » qui amène des cavaliers novices sur « les barres » après quelques heures sur le dos d’un cheval… il n’y a plus lieu de s’étonner de l’appauvrissement voire du déni d’une équitation qualifiée de « classique » ! Il en va de même pour les adeptes d’une équitation dite éthologique, voie qu’ils ont souvent prise pour sortir des cursus proposés par les centres équestres « lambdas » proposant des prestations correspondant aux demandes du public ! Il n’empêche que sans cette mise en selle qui permette au cavalier de se fondre dans les allures de son cheval, quelle que soit l’équitation qu’il veuille pratiquer, rien n’est possible sans cet accord du corps avec la gestuelle du cheval. Ce n’est pas pour rien que les « commençants » dans les académies de l’Ancien Régime passaient un an en selle à piquer… en sorte d’acquérir une posture identitaire de notre culture équestre: l’Equitation à la Française !
Gymnastique ; de quoi s’agit-il ?
D’une façon globale, la gymnastique du cheval porte sur deux domaines sous forme d’assouplissements :
- longitudinaux
- latéraux
Et sans manquer d’humour, je rajouterai : « et c’est tout ! »
Les assouplissements longitudinaux
Il s’agit bien sûr de la gamme des transitions. Transitions dans l’allure et entre les allures.
Les transitions dans les allures concernent leur développement et leur raccourcissement. C’est ainsi que l’on référence pour chaque allure une forme « rassemblée, ordinaire, moyenne et allongée ».
Les transitions entre les allures sont, quant à elles, référencées comme :
- primaires : c’est le passage d’une allure à celle qui lui est directement supérieure ou inférieure ( de l’arrêt au pas, du pas au trot, du trot au galop, et réciproquement pour les transition descendantes)
- secondaires : c’est la même chose que pour les transitions « primaires », sauf que l’on « saute » une allure : du reculer au pas sans marquer de temps d’arrêt, de l’arrêt au trot, du pas au galop et inversement pour les transitions descendantes.
- supérieures : là, on atteint un degré de rassembler tel que pour imager cette forme de transition, je lui associe la prise du galop à partir du reculer, et réciproquement. Ce qui implique que pour l’obtenir dans le meilleur équilibre, cela sous entend que le cheval arrive à galoper « à la vitesse du reculer » ! Ce qui pourrait donner du sens pour certains écuyers d’avoir mis en pratique des exercices peu ou pas compris en pratiquant le galop en arrière, le trot en reculant, etc… Ses exercices étant avant tout … des exercices d’assouplissements et non des Airs de présentations !
On comprend aisément que ces différents degrés d’exigences dans le jeu des transitions correspondent à différents degrés d’assouplissements du cheval !
Les assouplissements latéraux
Une erreur fréquente consiste à n’y voir que du travail dit « de deux pistes ». Ce qui se traduit concrètement par un travail négligé d’une piste sur le cercle ! Cette erreur se produit souvent par le fait de vouloir aller trop vite (comme toujours, d’ailleurs !).
Doit aussi être compris que le travail latéral n’est pas une fin en soi : il est au profit de la rectitude qui fait toujours défaut chez un cheval « vert ». Comme « ligne de conduite », j’ai tendance à conseiller de toujours faire marcher sur la ligne droite un cheval qui vient de pratiquer un assouplissement latéral ; s’il n’y a pas d’amélioration, c’est qu’il n’a servi … à rien ! Et par conséquent, autant s’en passer ! Je ne parle même pas du cas où l’on pourrait constater une dégradation…
En règle générale, comme chacun sait, nos chers compagnons ont toujours « une main plus facile que l’autre ». Une attention particulière doit être portée pour atteindre la symétrie à « la mauvaise main » avant d’envisager de développer les assouplissements.
Les assouplissements latéraux d’une piste :
Il s’agit du travail d’incurvation sur le cercle, dont la taille diminuera jusqu’à atteindre la volte. Pour rappel, la volte est à considérer comme étant le cercle de la plus petite taille que le cheval puisse tracer d’une piste ; son diamètre est de deux fois la longueur du cheval considéré, ce qui explique le fait que la volte n’a pas la même dimension pour un PRE d’1.55m ou d’un KWPN d’1.80m !
Les changements de direction (doublers dans la largeur ou la longueur) permettent de tracer des quarts de volte, au même titre que le passage des coins. Ils permettent d’être progressif dans le travail sur la volte qui, avant d’être abordée, sera préparée par le tracé des demi-voltes (ordinaires et renversées). Quand ces tracés sont devenus aisés pour le cheval, le tracé de la volte peut être envisagé.
La figure du huit de chiffre est un excellent moyen pour tester l’aisance du cheval à passer d’une incurvation à l’autre, tant d’un point de vue de sa souplesse que de son équilibre. Pour ma part, il me sert de « référence » à passer au travail de deux pistes … ou pas ! Ce huit de chiffre offre des combinaisons intéressantes de postures incurvées et contre-incurvées, le travail en contre-incurvation débouchant souvent sur la contre-épaule en dedans (qui sera abordée plus tard).
Les assouplissements latéraux de deux pistes :
Pour être clair, je pense qu’il faut prendre en considération qu’il n’y a que deux postures à envisager : l’épaule en dedans et la hanche en dedans. Et c’est tout ! Ces deux postures peuvent être pratiquées sur n’importe quelle trajectoires, ce qui fait qu’une multitude de combinaisons sont possibles, donnant tous les moyens nécessaires au dresseur d’améliorer palier par palier la souplesse qui, au final, permet de s’approcher au mieux de la rectitude car, pour rappel, ces exercices latéraux n’ont de sens primaire qu’en étant au profit de la rectitude.
Leur deuxième objectif étant d’apprendre au cheval à se prendre en charge en fléchissant son rein et abaissant les hanches l’une après l’autre : il entre progressivement dans le rassembler.
J’ouvre ici une parenthèse sur l’adaptation de la posture ; quand le cheval fléchit son rein et se prend en charge par une hanche, la nuque s’élève et l’angle « tête/encolure » se ferme : c’est ce que je considère comme étant le « ramener naturel » ou ramener utile. De plus, cela met en évidence que ce n’est pas la main qui met le cheval dans le ramener, le ramener devient une conséquence de la flexion de l’arrière-main. ==>sujet à réflexion !!!!!!!!
Combinaison des assouplissements longitudinaux et latéraux : vers la stylisation des allures.
Quand le degré d’assouplissement est (bien) avancé (!), les transitions sur n’importe quelle trajectoire dans la posture de l’épaule en dedans et de la hanche en dedans vont développer la force de l’arrière-main et augmenter le degré de rassembler du cheval. Plusieurs choses apparaissent : le trot s’est stylisé et il n’est pas rare qu’il se soit « transformé » en trot d’école dont la cadence est un peu plus lente que le « trot ordinaire », et son temps de suspension est plus marqué, accompagné de gestes plus relevés. La formation de ce trot est incontournable pour atteindre le palier qui permet d’étudier l’Air qui transforme toutes les allures : le piaffer. Mais ce trot d’école contient aussi le passage par sa cadence. On comprend l’importance de cette particularité du trot stylisé monté, et l’incohérence à vouloir chercher le piaffer comme le passage sans pouvoir obtenir le trot d’école !
La sagesse et les précautions qu’elle implique incitent à travailler séparément ces deux Airs que sont le passage et le piaffer en sorte que l’on en cherche les transitions (qui sont reconnues comme étant les plus difficiles à faire) que lorsque ses Airs sont maîtrisés indépendamment l’un de l’autre.
Pour ma part, je préfère aborder le piaffer par le pas d’école. Ce pas d’école, je l’obtiens par transition du trot d’école au pas (rassembler) et retour au trot d’école, jusqu’à ce que je puisse obtenir le pas d’école à partir du pas ordinaire : cela sous-entend que je n’obtiens pas le pas d’école à partir du pas ordinaire ; ce que je veux dire par là, c’est que du pas ordinaire, je ne suis pas sûr de « fléchir » le rein du cheval dans la transition pas ordinaire / pas d’école sans avoir travaillé ce pas rassembler issu d’une autre allure. C’est tout du moins ce que j’en pense, et c’est ainsi que procédaient les Anciens ; je n’ai pas la prétention de faire mieux, tout du moins je n’y suis jamais arrivé jusqu’à ce jour et ce n’est en aucun cas mon objectif ! Le pas d’école devenu familier au cheval, les pirouettes ordinaires et renversées dans cette allure favorisent la diagonalisation du pas ce qui … débouche sur la cadence du piaffer (on parle à ce stade de diagonalisations, pas encore de piaffer) dans un équilibre tel que la descente des aides est tout de suite praticable : l’équilibre est là ! Pour développer ces diagonalisations et les transformer en piaffer, ce n’est plus qu’une question de patience pour donner au cheval le temps… qu’il lui faut pour prendre la force nécessaire qui lui permettra de relever ses gestes.
En parallèle, du trot d’école, le doux passage se forme par ralentissement progressif de la cadence sans perte d’impulsion. C’est donc un travail de … transition dans l’allure qui permet d’obtenir dans un premier temps la cadence du passage. Cette cadence formée et devenue familière au cheval, le développement des gestes se forme par les … assouplissements latéraux dans cette cadence. Là encore, toutes les combinaisons sont envisageables et il y aura des choix à faire pour obtenir la symétrie des gestes dans cette allure, la dissymétrie naturelle du cheval ressortant particulièrement dans le passage. C’est d’ailleurs un « observable » qui permet de savoir tout de suite si le cheval au passage a été pris en compression et a « brûlé » des étapes dans son développement musculaire…
Raisonner la gymnastique :
Des paragraphes précédents, il est aisé de comprendre qu’en faisant de la gymnastique « pour faire de la gymnastique » ne peut pas développer le cheval au point de lui ouvrir les portes de la stylisation des allures. Tout du moins cela est du domaine du hasard à plus forte raison si l’on entreprend le dressage d’un cheval de qualités naturelles « modestes ». Ce qui explique peut-être cette course aux chevaux de conformations et de qualités impulsives de l’ordre du « sur-naturel »… Autre débat !
Pourtant, en raisonnant de façon logique, construite, chronologique la gymnastique du cheval concerné, il y a tout lieu de penser que ce même cheval sera à même de restituer l’aisance de ses allures naturelles sous la charge de son cavalier, voire styliser ses allures et ainsi ouvrir la porte de ce qui était appelé avant l’apogée de la compétition : l’équitation savante, la haute école, etc…
J’insiste avec conviction : la majeure partie des chevaux sont à même d’entrer dans cette équitation où il s’agit, tout compte fait, de sublimer le cheval. C’est ce que les Anciens, par leur savoir-faire, exprimaient en cherchant à « parfaire la nature » !
La question est : pourquoi y a-t-il si peu de chevaux « ordinaires » dont le cursus de dressage les approchent de cette forme d’équitation ? Il me semble que par les paragraphes précédents il y ait quelques éléments de réponses …